L’euro est-il halal ? Analyse islamique du système fiat, du riba et des alternatives comme Bitcoin


Introduction
Peut-on considérer l’euro comme une monnaie halal ? La question peut surprendre, tant l’usage de l’euro semble naturel, banal, quotidien. Pourtant, derrière chaque billet que nous échangeons se cache une mécanique complexe — et souvent invisible — qui soulève de profondes interrogations spirituelles et religieuses. À l’heure où les musulmans cherchent à aligner leurs pratiques économiques avec les valeurs de l’Islam, il devient essentiel d’analyser la nature du système monétaire actuel, non seulement d’un point de vue technique, mais aussi à travers une lecture spirituelle.
Dans cet article inspiré d’un extrait du livre “Bitcoin est-il obligatoire en Islam ?”, nous allons plonger dans les fondements du système fiat — cette monnaie “créée à partir de rien” — et explorer pourquoi ce modèle, loin d’être neutre, pourrait entrer en contradiction avec les principes fondamentaux de notre foi.
1. Le système fiat : une monnaie créée à partir de rien
Depuis la fin de l’étalon-or en 1971, les monnaies modernes comme l’euro ou le dollar ne sont plus adossées à aucune valeur tangible. Ce système, appelé fiat, repose uniquement sur la volonté politique et l'autorité des banques centrales. À tout moment, une institution comme la Banque centrale européenne peut “créer” de nouveaux euros par simple décision administrative, sans qu’aucune richesse réelle ne soit produite en contrepartie.
Concrètement, cela signifie qu’il n’y a aucune contrepartie en or, en argent, ou en travail humain derrière les billets que nous utilisons chaque jour. Ils sont créés “ex nihilo” — à partir de rien — et injectés dans l’économie au gré des politiques monétaires. Cette capacité de création illimitée concentre un pouvoir immense entre les mains de quelques décideurs, comme la présidente de la BCE ou le président de la Réserve fédérale américaine.
Ce système s’éloigne profondément de l’idée traditionnelle de la monnaie comme reflet d’une valeur réelle. Il introduit une dimension artificielle, abstraite, où la monnaie n’est plus qu’un instrument de contrôle, façonné selon les intérêts économiques et politiques dominants.
2. Une usurpation du pouvoir divin ?
Le terme “fiat” tire son origine du latin “fiat”, qui signifie littéralement : “qu’il en soit ainsi”. C’est un impératif utilisé dans les textes religieux pour désigner l’acte créateur de Dieu. Dans la Bible, on lit : “Fiat lux” — que la lumière soit. Et dans le Coran, Allah ﷻ dit : “Kun fa-yakûn” (“Sois ! Et la chose est.”) [Sourate Ya-Sin, v.82].
Ce vocabulaire n’est pas anodin. Il évoque un pouvoir absolu, réservé au Créateur, de faire surgir une chose du néant, sans cause ni intermédiaire. En nommant notre système monétaire “fiat”, l’homme moderne s’arroge symboliquement un pouvoir divin : celui de créer la valeur à partir de rien.
Mais à la différence d’Allah ﷻ, les autorités monétaires ne créent pas de substance réelle. Elles se contentent d’inscrire des chiffres dans un registre électronique et imposent leur reconnaissance par la loi et la force de l’État. Cette prétention n’est pas seulement une dérive technique, elle est une déviation spirituelle majeure.
En effet, revendiquer la capacité de création ex nihilo revient à nier l’unicité de Dieu dans Son pouvoir créateur. C’est un geste d’orgueil (kibr) et d’usurpation symbolique, où l’État se place au centre d’un système dont Dieu a été évacué. Cela fait du système fiat bien plus qu’un outil économique : il devient un système de croyance, une théologie inversée où l’homme prend la place du Créateur.
3. Monnaie fiat = dette + intérêts = riba ?
Au-delà de sa prétention symbolique, la monnaie fiat pose un problème très concret du point de vue islamique : elle repose sur la dette et l’intérêt (riba). Contrairement à une pièce d’or ou d’argent qui incarne une richesse réelle, chaque billet de banque moderne n’est qu’un fragment de dette en circulation.
Lorsque les banques centrales créent de la monnaie, elles le font généralement en échange de titres de dette — comme des obligations d’État. De même, les banques commerciales créent de l’argent à chaque fois qu’elles accordent un prêt. Cette monnaie “nouvelle” est donc adossée à une promesse de remboursement avec intérêts.
Autrement dit, chaque euro, chaque dollar en circulation est issu d’un prêt rémunéré, et porte en lui les germes du riba. Lorsqu’un musulman utilise cette monnaie, il participe involontairement à un système fondé sur une mécanique interdite par l’Islam.
Le Prophète ﷺ a averti :
“Un temps viendra où nul n’échappera au riba. Même celui qui tentera de s’en éloigner en sera atteint par sa poussière.”
Rapporté par Abou Dawoud et Ibn Mâjah.
Ce hadith prend aujourd’hui un sens tragique. Même les musulmans les plus rigoureux sont contraints d’utiliser une monnaie entièrement contaminée par le riba, que ce soit pour recevoir un salaire, acheter du pain ou payer une facture. Le riba n’est plus un choix : il est devenu le tissu invisible de nos échanges quotidiens.
4. Un désordre économique et spirituel programmé
Le système fiat ne se contente pas de violer les principes spirituels et les interdits du riba : il engendre également un déséquilibre profond dans l’ordre économique et moral de la société. En autorisant la création illimitée de monnaie sans contrepartie réelle, ce modèle déconnecte la richesse de toute notion de travail, de rareté ou de justice.
Dans le monde matériel, tout est limité : les ressources naturelles, le temps humain, l’énergie. Mais la monnaie fiat prétend s’affranchir de ces limites. Elle introduit une illusion d’infinitude dans un univers fondamentalement fini — ce qui est non seulement une erreur logique, mais surtout une offense théologique. Car en Islam, l’infini appartient exclusivement à Dieu.
Cette logique illusoire crée une économie où :
La dette ne cesse de croître.
Les inégalités s’aggravent.
Les plus riches s’enrichissent par simple proximité avec la source monétaire.
Les plus pauvres sont écrasés par l’inflation et l’endettement.
Tout cela repose sur une monnaie déconnectée de la réalité et contrôlée par une élite restreinte. En prétendant créer de la richesse infinie, ce système usurpe le rôle de Dieu, mais produit en réalité pauvreté, oppression et chaos. Il s’agit d’un désordre spirituel autant qu’économique, où l’humanité se détourne de l’équilibre voulu par la Loi divine (Shari’a).
Conclusion : Vers une alternative conforme ?
L’analyse spirituelle et religieuse du système fiat révèle une vérité souvent ignorée : la monnaie moderne n’est pas neutre. Elle est le fruit d’un pouvoir politique qui s’arroge la capacité de créer de la valeur ex nihilo, d’imposer la dette comme norme, et de diffuser le riba dans tous les recoins de l’économie. Ce système est incompatible avec les principes fondamentaux de l’Islam, car il défie à la fois l’ordre économique juste et la souveraineté exclusive de Dieu sur la création.
Pour les musulmans soucieux de préserver leur foi dans leur vie quotidienne, il devient donc crucial de questionner l’origine de l’argent qu’ils utilisent. Comprendre les rouages de ce système, c’est déjà un premier pas vers l’émancipation. Mais ce n’est pas tout.
Face à ce constat, des alternatives émergent. Parmi elles, le Bitcoin se distingue par sa transparence, sa rareté programmée, son absence d’intermédiaires et sa résistance à l’arbitraire. Il ne s’agit pas de le sanctifier, mais de l’étudier sérieusement à la lumière des textes, de la raison et de l’éthique islamique.
